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samedi, 15 avril 2006

la lisière de l'être

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And the dying dusk is fear and chill.

(The twilight hours are all alike)

He is not disturbed by fame, that reflection

Of dreams within a dream of another mirror,

Nor by the timorous love of maidens.

A golden haze, the west glows

Through the window. The assiduous manuscript

Awaits, already laden with infinity.

Someone is constructing God in the fading light.

Jorge Luis BORGES

 

 

"Si nous plantons seulement ce grain de moutarde dans nos mémoires de sorte qu'il grandisse et devienne un immense arbre de la connaissance et qu'il s'élève vers le ciel jusqu'à la limite de notre conscience; qu'il y déploie toutes les branches des sciences ; qu'il brûle nos bouches piquantes du goût âcre de sa semence! Ainsi brûlera-t-il pour nous de tout le feux de sa semence et s'embrasera-t-il dans notre coeur." Pietro CHRYSOLOGUS dans Sermo 98, 28,33

 

"Le grand travers qui guette la memoria n'est pas l'oubli, mais le désordre, la curiositas, autrement dit la fornication mentale" Mary CARRUTHERS dans Machina Memorialis [citation libre]

 

L'Homme se définit (existe) par ses limites qui forment l'enveloppe autour de ce qu'il accepte être lui-même, unité de corps et d'esprit. La conscience de soi en tant qu'entité autonome implique la reconnaissance de l'autre (reconnaissance matérielle et spirituelle), puisqu'il y a autonomie ou indépendance qui signifie rapport entre au moins deux entités distinctes. Il est lui-même en tant qu'il n'est pas Autre. Si son enveloppe physique ou membrane sensorielle paraît, a priori, moins sujette à variations significatives, il en va autrement de sa membrane ratio - émotionnelle qui s'avère plus modulable, car reformulée en permanence dans le dessein d'accroître et de conserver efficacement les possessions (principe d'efficience). Ce construit est tel une carapace molle qui maintient, du moins temporairement, le cumul des acquisitions, opposant une inertie poreuse aux flux qui charrient les apports et déperditions.

 

C'est par attribution d'un mot ou d'une image que je catégorise l'objet ou le concept, que je peux lui donner une valeur et le classer parmi les innombrables événements physiques et psychiques déferlant à travers mon environnement. Le cadrage instrumenté par la raison (en allemand, le mot raison "Verstand" comporte "-stand" de "stehen", verbe signifiant se tenir debout, à l'arrêt) impose sa finitude au perpétuel mouvant. La raison est servie dans sa tâche par la mémoire bipolaire - rationnelle et affective - fragmentaire par nécessité, se place en antinomie avec la continuité d'un réel, par ailleurs multiple, qui aligne les instants dans un flux de moments équivalents dont seul un nombre infime reste accroché dans les mailles de notre capacité de souvenir consciente et inconsciente. La mémoire oeuvre comme un filtre amplificateur ou réducteur d'intensité et de durée des laps de temps. Mémoire et raison deviennent créatrices d'illusions, elles restaurent au présent une vision du passé, confectionnée comme un "patchwork", offrant une autre continuité; celle des instants virtuels qui remplacent les vacuités entre les instants rapportés.

 

Cette fixation raisonnable sert la seule manière d'appréhension et d'appropriation possible du réel, à une isolation du particulier de son contexte trop global et par là trop diffus que de pouvoir servir à l'état brut, préservant l'être de son implosion. Le devenir humain est édifié sur le cumul de possessions fragmentaires.