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lundi, 04 juin 2007

le possible

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Meine Augen wurden trübe,
Fernes, mütterliches Land,
Ach! sie bleiben dir voll Liebe,
Und voll Sehnsucht zugewandt!
NOVALIS, Schriften

 

Je tenais le livre encore clos entre mes mains. Il m’avait été recommandé, mais je n’en connaissais ni l’histoire, ni l’auteur, et n’avais lu que le titre, énigmatique, cependant seul indice quant à son contenu. Ce fut un moment d’une humble délectation, mes doigts glissant sur la surface rugueuse et gaufrée de la couverture en blanc écru. Je retournais le volume pour l’épouser agréablement avec les paumes de mes mains et soupeser les efforts d’écriture qu’il renfermait. Il s’en dégageait une odeur de neuf, de colle et, j’en fus certain, de gras d’encre. Un écrin de plaisirs.

 

Le possible de la lecture, taquin et encore gros de toute son importance, me tentait par d’innombrables hypothèses et désirs : des histoires sorties tout droit de la magie de l’enfance, des noirceurs de quelque cauchemar ou de fragments de films superposés, enfouis dans ma mémoire. Je survolais la fraîcheur de pics enneigés, je sentais l’humidité boisée de marécages isolés et de forêts enchantées. Je me hâtais, inquiet, dans les entrailles d’une métropole inconnue. Je vibrais dans la chaleur d’un désert, découvrais des civilisations exotiques et suffoquais sous la menace moite d’une lointaine forêt vierge. Je vivais des centaines d’aventures en un instant. Tant et si bien que j’hésitais.

 

J’hésitais longuement à ouvrir mon livre. Et le temps d’hésitation s’étirant, le doute sur le bien-fondé de la lecture s’insinuait dans ma conscience : Pourquoi devais-je substituer au potentiel radieux d’un éventuel merveilleux la trame figée d’une histoire dont je n’aurais peut-être pas voulu ? A quoi bon visiter un récit étranger, alors que l’expectative joyeuse m’emplissait déjà complètement ? Les dangers de la lecture décevante me parurent soudainement si déconcertants, que je ne vis d’autre solution que de ranger l’ouvrage sur l’étagère.

 

Depuis lors, je l’ai souvent repris entre mes mains, comme bien d’autres oeuvres littéraires qui venaient encore à agrandir régulièrement ma vaste bibliothèque. Mais, plus jamais n’ai-je pu ouvrir un seul de mes livres, par crainte de réduire le champ du possible.

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