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dimanche, 02 avril 2006

le repos par la certitude

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Je n'ai pu résister à dépecer le fromage en morceaux aussi petits que possible, d'un possible éclos dans mon aspiration hédoniste de tout mettre en oeuvre afin de prolonger le plus longuement le délice de sa dégustation, mais d'un possible aussitôt cerné, car également portion congrue d'une nécessité impérieuse de discrétion, craignant par trop de me ridiculiser sous l'oeil supposé sarcastique des convives attablés. Mon minutieux travail de découpe achevé, j'hésitais pourtant à me servir du premier fragment odoriférant, retenu par ma conviction funeste que d'une part, le plaisir savoureux, aussi intense qu'il ne saurait être, ne pourrait effacer le souvenir futur de l'exquise anticipation de la mise en bouche et que d'autre part, l'accès initial au plaisir sensoriel, en clair: la mastication voluptueusement décadente du premier cube de crème coagulée, constituerait un climax unique, mais éphémère et donc plus jamais atteignable dans sa plénitude. La fourchette chargée du corpus libidinum, portée à mi-hauteur entre l'assiette et la bouche, je restais figé, impuissant à surmonter le seuil d'une vague mélancolie anticipée, laquelle s'était introduite dans ce petit moment de tempérance devant une jouissance à l'avènement certain (et dont il sied à noter la différence sensible par rapport à l'attente d'avant une jouissance à la réalisation hypothétique, germe d'anxiété autant que de plaisir phantasmatique, parti intégrante des pratiques sadomasochistes p.ex.).

Dans cet état de suspension délirant - pendant lequel les contractions récurrentes et (dans ces circonstances) non conditionnées de ma cavité buccale, tiraient ruisselet sur ruisselet de salive confluant sous ma langue pour ainsi trahir mon appréhension sans cesse croissante et inversement proportionnelle au délai qui me rapprochait du goûter originel - il m'apparu que ce que j'avais cru être sensation, n'était que réalisation de l'esprit, construit tant par l'imaginaire expansif qu'avec le souvenir assurément approximatif de l'historique de mes propres expériences similaires. Désabusé par la compréhension que cet édifice mental contribuait à tel point au plaisir conjecturé, que la réalité ne pouvait que décevoir, je me mis à gober morceau après morceau agrémenté d'un petit regret pinçant, cherchant ma consolation dans le fait d'avoir vécu l'un de ces micro-événements faisant partie des innombrables préciosités, pics de conscience, qui nous permettent, trop sporadiquement hélas, d'explorer notre multitude spécifique dans ses confins les plus réservés.

18:45 Publié dans digesteur | Lien permanent | Commentaires (0)